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L’époque d’Edo correspond au règne du shogunat Tokugawa (1603-1867), qui choisit Edo (aujourd’hui Tokyo) comme capitale, l’ancienne capitale impériale étant Kyoto. Cette période fut marquée par une politique d’isolement du pays, appelée sakoku, qui visait à asseoir le pouvoir politique en interdisant les échanges avec le monde extérieur et en échappant notamment au danger que représentait la propension des Européens à répandre le christianisme. Les marchands néerlandais qui faisaient exception à cette tendance avaient le droit de débarquer au port. Les Japonais furent donc pratiquement coupés du monde et de sa culture scientifique pendant près de trois siècles, mais ils possédaient plusieurs manuscrits et autres héritages culturels de la Chine dont ils s'inspirèrent fortement au bout d'une longue appropriation. Le Japon fut alors réellement productif tant dans le domaine des mathématiques qu’au plan artistique en général. L’âge d’or de cette période, qui correspond un peu à la Renaissance en Europe, c'est l’ère Genroku (1688-1704), pendant laquelle rayonna notamment le «Newton ou le Leibniz du Japon» : Seki Kowa (1642-1708).
Les grandes formes d’art traditionnel japonais ont en effet vu le jour pendant la période d’Edo, notamment les théâtres nô et kabuki, le théâtre de marionnettes bunraku, la peinture et les estampes ukiyo-e, le célèbre origami, qui transparaît d'ailleurs sur les sangaku, et les courts poèmes haiku. On voit ci-dessus un extrait d'une célèbre estampe de Hokusai, La grande vague de Kanagawa (1831), qui fait partie d'une série de 36 vues sur le mont Fuji. Mandelbrot y a decelé étonnamment près d'un siècle et demi plus tard de ses révolutionnaires fractales, ces motifs présentant des autosimilarités (ici les vagues peuvent être comparées à un ensemble de Julia et les nuages à un flocon de Koch).
Les historiens déduisent que l’essor des mathématiques au Japon prend sa source dans l’étude des anciens textes chinois, qui ont été importés avec le bouddhisme au milieu du VIe siècle. Ces derniers durent attendre jusqu’à l’époque d’Edo pour être déchiffrés et servir de base aux dites wasan, les mathématiques locales. Le premier ouvrage mathématique chinois connu, datant du VIe siècle avant J.C., Chou pei suan ching (Le classique arithmétique du gnomon et les chemins circulaires du ciel) contient une preuve du théorème de Pythagore. Un livre plus avancé, probablement apparu vers le IIIe siècle avant J.C. et considéré comme le plus influent, Chiu chang suan shu (Les neuf chapitres sur l’art mathématique), dévoile le calcul d’aires de cercles et de polygones, la résolution de systèmes d’équations linéaires et probablement une des premières études de l’équation quadratique et une des premières mentions des nombres négatifs.
Les mathĂ©maticiens fondateurs wasan sont Kambei Mori (dĂ©but du XVIIe siècle) et son disciple Yoshida Kōyū (1598-1672). Le premier est responsable de la popularisation de l’usage du soroban (le boulier japonais) pour les calculs arithmĂ©tiques et le second publia en 1627 un ouvrage dans la mĂŞme lignĂ©e, Jinkō-ki (Petits et grands nombres), dont le nom devint un synonyme au Japon d’arithmĂ©tique. Les wasan furent alors orientĂ©es autour du calcul. L’âge d’or des wasan vint avec Kowa Seki, auquel on attribue une première thĂ©orie des dĂ©terminants, prĂ©cĂ©dant celle de Leibniz, le dĂ©veloppement des mĂ©thodes de rĂ©solution des polynĂ´mes de degrĂ© allant jusqu’au 1458e degrĂ©. Seki et particulièrement Takebe Katahiro, l'un de ses Ă©lèves, dĂ©veloppèrent l'Ă©quivalent du calcul intĂ©gral avec le enri, ou «principe du cercle», lequel rĂ©pond Ă la question de la quadrature du cercle, de l'estimation prĂ©cise du nombre \(\pi\) et au calcul d'aires et de volumes courbes. Un hĂ©ritage non-nĂ©gligeable de Seki fut l'utilisation d'une notation permettant de manipuler les polynĂ´mes, le tenzan, ce qui lui permit de dĂ©velopper ses mĂ©thodes pour rĂ©soudre les Ă©quations algĂ©briques.
Les publications de mathématiciens au cours du XVIIIe siècle démontrent, comme les sangaku, un intérêt pour les problèmes géométriques impliquant des cercles, des ellipses, des sphères, des ellipsoïdes, des polygones et des polyèdres. On en déduit un certain dialogue entre mathématiciens via les sangaku. Hidetoshi Fukagawa, le professeur ayant ramené à la surface les sangaku, suggère qu’ils ont fortement inspiré Kowa dans ses recherches. L’isolement de la période d’Edo permit aux Japonais de développer des mathématiques de leur crû, parallèlement au monde extérieur; ces wasan ont été l’objet d’études dans les écoles destinées aux élites, mais aussi dans les temples, où venaient s’instruire les paysans. Cet isolement imposé cessa par l’intervention américaine en 1854 et le règne des Tokugawa tomba en 1867. Il s’ensuivit une invasion progressive des yosan, les mathématiques occidentales, qui furent alors adoptées par le nouveau régime.
Les sangakuCes tablettes suspendues aux toits des temples (et sanctuaires), proposant des problèmes de géométrie algébrique et aussi d’équations diophantiennes, semblaient rejoindre les élites et les savants tout comme les marchands et les paysans. C’est ce qu’on peut déduire du nom de leurs signataires (parfois même des femmes et des enfants) et de la langue utilisée (qui n’était pas systématiquement le kanbun, la langue des savants éduqués correspondant au latin chez les Européens). Les problèmes des sangaku sont posés comme des défis à l’intelligence et illustrés par des formes simples et colorées. Avec des niveaux de complexité pour tous les grades, les sangaku permettaient alors autant aux maîtres et aux aux écoles de s'affronter sur le terrain mathématique que de faire de la publicité auprès de futurs adeptes. Les temples étaient, avant tout, le lieu de la dévotion et de l’adoration des divinités, les kami. La tradition de suspendre des tablettes existait ainsi bien des siècles avant l’époque d’Edo : les dévots gravaient alors des images de chevaux dans le bois pour plaire aux kami. Comme les temples devinrent des lieux de rassemblements populaires et d'éducation, les tablettes suspendues sont devenues un mode de communication plus diversifié, que se sont approprié les artistes et les savants. |
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